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La fabuleuse histoire de la cuisine française ( suite )
Les femmes sont admises au banquet : ce sont les » sœurs culinaires » ; beaucoup appartiennent à la Comédie Française, dont Grimod écrit :
» Nous en demandons bien pardon aux femmes honnêtes ( ou qu’on est convenu dans le monde d’appeler telles ), mais en fait d’amabilité, de liberté décente et d’enjouement aimable, nous n’en connaissons aucune qu’on puisse mettre en parallèle dans un dîner avec la plupart des actrices du Théâtre Français. »
+Balthasar Grimod de la Reynière est né à Paris en 1758, d’une famille originaire de Lyon ; son grand-père est mort victime d’un excès de foie gras ; son père fermier général, a fait fortune dans le commerce des porcs ; sa mère est de très noble famille.
Un accident de famille « , dit Grimod, l’a privé, enfant , de ses mains.
Alors qu’il avait quelques semaines, une truie les lui aurait dévorées dans son berceau. Il se sert de ses moignons avec adresse, fait son Droit et s’inscrit au barreau ; dès lors il donne libre cours à son humour noir. Un jour, il place à la porte de l’hôtel particulier que son père a fait construire à l’angle de la rue des Champs-Élysées et de la place Louis XV, un géant et un nain déguisés en mousquetaires. Tous deux se précipitent vers les visiteurs et demandent :
» Que désirez-vous voir ? M. de la Reynière père, le profiteur du peuple ou M. de la Reynière fils, le défenseur de la veuve et de l’orphelin ? « .
Un autre jour, profitant de l’absence de ses parents, il invite à dîner amis et fournisseurs de son père et de sa mère. Il embauche, pour le service, des gueux, place de Grève et les habille en hérauts d’armes du moyen-âge.
Des enfants manient des encensoirs » pour vous éviter d’encenser les maîtres de maison « .
Au-dessus de la porte, sont inscrits quatre mandements ainsi libellés :
– Ne pas poser sur la nappe un couteau ou une cuillère malpropre.
– Ne point jouer de la trompette en se mouchant à table.
– Ne point essuyer son couteau ou sa fourchette à la nappe.
– Ne pas regarder son mouchoir après s’en être servi.
On ouvre les portes de la salle à manger : à la place d’honneur, revêtu des habits de M. de la Reynière, trône un énorme cochon vivant.
» C’est un de mes parents, resté dans l’état, qui me fournit toutes ces viandes ! « .
Le menu ne comprend que de la charcuterie …
Les invités sont très amusés et le banquet est bien entamé lorsque les parents rentrent à l’improviste. La colère du père se traduit par l’exil de l’enfant terrible chez le chanoine de Domeure, près de Nancy. Il y restera deux ans, car son père meurt lui laissant une immense fortune qui va lui permettre toutes les excentricités.
Un jour, il annonce son intention de convier tous les avocats de Paris à dîner. A l’heure dite, ceux-ci arrivent en foule. Ils sont reçus par d’anciens repris de justice en uniforme de galériens, traînant, en guise de boulet, des fromages de Hollande ! Seuls ont le droit de pénétrer dans la salle à manger les avocats qui peuvent prouver leur roture et ceux qui n’ont jamais eu de clients condamnés au bagne.
Une autre fois, il fait annoncer son décès et fixe les obsèques à cinq heures le soir. Il n’y a que peu de monde, lorsque les portes s’ouvrent, mais pas un membre du » jury-dégustation » ne manque. Le cortège est introduit dans un salon tendu de velours noir ; au milieu un cercueil… d’où émerge Grimod ravi de sa macabre plaisanterie. Tout finit par un plantureux banquet.
Gastronome authentique, Grimod publie le » Manuel de l’Amphitryon » et son » Almanach des Gourmands » dont le succès ne se dément pas durant huit années. Ses aphorismes sont célèbres.
Citons :
» Pour un homme riche, le plus beau rôle en ce monde est celui d’Amphitryon. »
– Un véritable gourmand ne se fait jamais attendre.
– Le nombre treize n’est dangereux à table que lorsqu’il n’y a à manger que pour douze.
Et surtout ce précepte :
– » Un bon dîner étant une des plus grandes jouissances de la vie humaine, aimons et honorons celui qui nous le donne en prenant tant de peine pour faire manger son bien. Payons notre écot en joyeux propos, en saillies aimables, en couplets érotiques, en fines réparties, en historiettes amusantes et courtes… courtes surtout ! « .
Lorsqu’à la mort du Dr Gastaldy, Grimod fait nommer Cambacérès à la présidence de son jury, Talleyrand qui convoite cet honneur, se venge bassement en dénonçant Grimod à Fouché. Convoqué par le préfet de Police et accusé de tenir sur Napoléon des propos outrageants, Grimod proteste. Fouché interroge :
» Que pensez-vous de l’empereur ? »
Et Grimod de répondre :
» Je pense que si Napoléon employait son génie à faire de la cuisine, l’humanité n’en serait que plus heureuse. »
Sur le tard, Grimod épouse une actrice de la Comédie Française, Adélaide-Thérèse Feuchère et va s’installer dans l’ancien château de la Brinvilliers à Villiers-sur-Orge.
Point troublé par le souvenir de l’empoisonneuse, il y organise des dîners mémorables. Alexandre Dumas père affirme :
» Il nous a offert le meilleur repas que je me rappelle avoir mangé ! »
Grimod donne libre cours à sa fantaisie dans l’agencement du château : des portes secrètes sont ménagées dans les lambris et des trappes sous les parquets, des lits reposent sur une roue que mettent en branle une vis, un chevalet, si bien qu’on se réveille le lendemain dans une pièce différente de celle où l’on s’est endormi.
Tout le monde court dans les couloirs recherchant à grands cris ses propres vêtements.
Grimod a près de quatre-vingts ans lorsqu’il s’assoupit vers la fin d’un délicieux dîner, entouré d’amis fidèles ; il ne se réveillera point.
Source : La fabuleuse histoire de la cuisine Française d’Henriette Parienté et Geneviève de Ternant.
Note d’Hubert : Courtine, célèbre et talentueux journaliste gastronomique des années 70/80 signait ses articles dans le journal » Le Monde » sous le pseudonyme de Grimod de La Reynière.