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(Suite)
Le roi parle de loin à la personne qu’il désire ou bien la fait approcher, ce qui est un grand honneur. Parfois, quand son frère Philippe d’Orléans est au palais, le roi demande un couvert pour lui. On raconte qu’un seul homme eut l’insigne privilège de dîner à la table du roi : ce serait un baladin à l’époque où le métier de comédien vouait à l’excommunication. Il aurait été humilié par des gentilshommes de la chambre du roi et le souverain aurait voulu démontrer d’une façon éclatante l’estime en laquelle il tenait ce baladin de génie. , Molière. L’anecdote est si belle que nous la voulons vraie, mais aucun texte digne de foi n’en porte témoignage.
Molière est cependant l’artisan d’une des plus belles fêtes du règne de Louis XIV, à Versailles qui n’est point encore le château que nous connaissons. Le 7 mai 1664, pour éblouir la charmante Louise de la Vallière, un roi de 26 ans s’allie à un magicien pour le plus extraordinaire carnaval que l’on puisse voir. Six cent invités affluent dans les jardins que Lenôtre commence à tracer. Défilés, joutes impromptues et jeux se succèdent sous le soleil. Lorsque tombe la nuit, d’un seul coup, quatre mille flambeaux s’allument, tenus chacun par un laquais, les invités se voient soudain entourés de bannières dorées supportant des miroirs qui réfléchissent, à l’infini les flammes et les girandoles vertes et argent, tandis que jouent trente six violons. Deux cents valets et servantes, vêtues en dryades, en pâtres, en vendangeurs, en moissonneurs, en faunes et même en vieillards couverts de neige, apportent les tables qu’ils rangent en demi-cercle. Les invités prennent place le long de la convexité, tandis qu’au centre s’élève une estrade où l’orchestre interprète du Lully.
Le marché aux légumes. Peinture de Bueckelaer. Valenciennes, musée des beaux-arts.
Des jets d’eau surgissent entre les fleurs à la table des Reines Anne d’Autriche et Marie-Thérèse où le roi a pris place. Lavallière est à la place de dame d’honneur, à la table de Madame.
On sert des viandes froides, daubes, jambons, saucissons, langues et pâtés de faisan, de merles et de lapereaux, des pains mollets, des assiettes de foie gras et de truffes, des massepains, des beignets et des talmouses. Les vins sont rafraîchis à la glace et on propose une nouveauté, des liqueurs, qui remplacent « les vins herbés ».
Des caisses d’oranges sont arrivées du Portugal et l’on apporte les premières cerises de la saison ; bigarreaux, cerise de Montmorency, des fraises forcées sous châssis, des confitures et des pâtes de fruits. La fête dure sept jours et Molière, qui la conçoit en s’inspirant du Roland furieux de l’Arioste, prévoit pour chaque soir, un divertissement nouveau : le thème est celui du paladin Renaud, retenu prisonnier par la reine Armide, dan son palais enchanté. On le trouve dans les œuvres de Molière sous le titre « Les plaisirs de l’ile enchantée » collation ornée de machines mêlée de danses et de musiques, ballets du Palais d’Alcide, feux d’artifice, et autres fêtes galantes et magnifiques faites par le roi à Versailles, le 7 mai 1664 et continuées plusieurs autres jours ».
La Cuisine . Vincenzo Campi (1536-1591)
Le miracle est que, dans cette profusion, le génie ne se soit pas contenté de la magnificence des étoiles filantes, mais qu’il est produit des astres de première grandeur qui nous éblouissent encore, nous voulons dire les pièces qui furent jouées ces soirs-là :
« La Princesse d’Elide », « Les Facheux », « Le Mariage forcé » et surtout « Le Tartuffe », dont on présente les trois premiers actes. Louis XIV, qui s’y connait en hommes, apprécie Molière et l’aime. Mais il n’est pas étonnant qu’un tel génie ait donné sa pleine mesure sous l’autorité d’un tel roi. Un vrai chef fait naître des miracles. Ainsi les jardins de Versailles sont dus au génie de l’agronome La Quintinie, intendant général des jardins potagers et des vergers du roi, résolu il est vrai à une longue patience. De 1678 à 1685, il lui faudra sept ans en effet pour obtenir ce que veut Louis XIV. La terre est quelconque ; c’est celle du bassin des Suisses que l’on a sous la main et que l’on répand.
Il la faut fumer, retourner, amender, arroser ; l’on obtient ainsi des fraises en avril, des petits pois en mai, des melons en juin. Viennent aussi des choux-fleurs, nouveauté pour l’époque, cardons et artichauts, venus d’Italie, scorsonères et diverses sortes de choux et de concombre, des épinards, de l’oseille, des aubergines et des haricots, ainsi que toutes sortes de salades.