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Le festin du vœu du Faisan:
Les chroniqueurs ont rapporté que quarante huit sortes de plats cuisinés furent servis au festin du vœu du Faisan. Nul n’en a donné le menu exact, mais là n’était pas l’important : « ce qui intéressait les assistants, de qui les chroniqueurs ont obtenu leurs informations, c’est le faste déployé : les plats monumentaux d’or et d’argent sur lesquels on présentait les mets, mais plus encore la vaisselle qui ne servait à rien qu’à l’ostentation, exposée sur les dressoirs. Les énumérations concernant cette vaisselle tiennent dans les récits la place que tiennent les indications relatives aux toilettes dans les reportages mondains (G. et G.Blond)
Le repas servi aux invités de plus haut rang dure trois heures. Aucun des convives, autour de la grande table, dressée en rectangle ouvert en U, ne quitte sa place tandis que d’autres invités s’installent sur les gradins tendus de velours bleu montés de chaque côté de la salle. Leur nombre augmente sans cesse et ils sont serrés au point de ne pouvoir bouger ni bras ni jambes. Ils regardent avec admiration les estrades chargées de paysages en réduction animés par des automates et des animaux vivants, une église dont les cloches tintent, un bateau garni de mariniers et de marchandises, un pré enclos de pierres précieuses où coule une rivière dont la source est une fontaine de verre, un énorme pâté contenant un orchestre de vingt-huit musiciens, un château dont les douves s’emplissent d’eau de fleur d’oranger, une forêt exotique pleine de bêtes sauvages, les loggias garnies de musiciens et les dressoirs où brille la vaisselle d’or.
Bien qu’il ne soit que deux heures de l’après-midi, les torches de cire, les chandelles, les flambeaux étincellent. Une sonnerie retentit Un géant armé en Sarrasin, entre, conduisant un éléphant sur le dos duquel un palanquin couvert en forme de château abrite une femme éplorée, en longs habits de deuil. Nul n’a jamais vu en réalité cet animal : on le trouve terrifiant ; tandis que les trompettes sonnent, l’éléphant avance lentement écrasant les fleurs qui jonchent le sol et soudain se met à faire des crottins démesurés ; aussitôt quatre hommes armés de balais et de pelles de bois les ramassent et les emportent.
Lorsque l’éléphant arrive devant la table du duc, les trompettes se taisent. La femme en noir se penche à la fenêtre de son château et entonne une complainte disant qu’elle est la religion dont le château est la foi et combien elle souffre en Turquie de la tyrannie des musulmans et de la lenteur de ceux qui doivent venir la délivrer. la complainte terminée, le géant fait reculer, puis tourner l’éléphant et tandis qu’ils sortent une file d’officiers d’armes entre. Ils tiennent un poing à la ceinture, l’autre dressé et sur celui-ci est perché un faisan vivant orné d’un collier d’or, enrichi de pierres et de perles. Cette théorie d’hommes et d’oiseaux paraît interminable. Enfin vient le roi d’armes de la Toison d’Or : sur son vêtement magnifique brille le collier de l’ordre; » Il s’avance vers le duc de Bourgogne et lui présente deux dames chacune escortée par un chevalier de la Toison d’Or. Puis, au nom de ces dame, il lui offre l’oiseau qu’il tient au poing ». le Duc tend alors au roi d’armes un billet que celui-ci, se tournant vers la salle, lit d’une voix retentissante.
« Je voue à Dieu, mon créateur, tout premièrement, et à la très glorieuse Vierge, sa mère, et après aux dames et au Faisan… » Suit la promesse de porter la guerre chez les infidèles pour la défense de l’Église opprimée. Puis toutes les voix des chevaliers s’élèvent ensemble pour s’associer au vœu dans un brouhaha indescriptible; l’un jure de ne pas coucher dans un lit jusqu’à l’accomplissement du vœu, l’autre de s’abstenir de viande ou de vin, de se vêtir de noir ou de ne pas manger sur une nappe.
L’émotion générale est intense.
Delacroix
Puis une femme entre, vêtue de l’habit blanc des religieuses ; sur son épaule un rouleau où brille en lettres d’or l’inscription grace-Dieu. Suit un cortège de douze couples, dames et chevaliers. Sur l’épaule de chaque dame un mot est écrit : Foi, charité, justice, raison, prudence, tempérance, force, vérité; largesse, diligence, espérance, vaillance; ce sont là les vertus de tout vrai chevalier. Alors les instruments s’accordent tandis que sonne la trompette. L’heure du bal est arrivé.
A la vérité, ni le Duc de Bourgogne ni aucun des chevaliers qui ont prononcé avec lui le voeu de Faisan à Lille en 1453 n’iront jamais guerroyer contre les infidèles. Mais Philippe le Bon désire rehausser son prestige et rabaisser le roi de France. Il y réussit merveilleusemen, car la cour de Charles VII fait bien piètre figure dans un royaume déchiré par l’ambition des grands; mais ces derniers concourent eux-mêmes à leur perte. Dans leur rage de s’éclipser l’un l’autre, ce ne sont que tournois et festins où ils se ruinent. Le comte Henri II de Champagne doit donner son propre mobilier en gage à ses fournisseurs exaspérés. Amaury de Montfort en fait autant de se propres parents. De nombreux nobles sont retenus prisonniers pour dettes par leurs créanciers. Ainsi la noblesse se dépouille au profit des marchants et des banquiers qui, du coup, détiennent la puissance réelle.
Philippe le Bon
à suivre…