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Bocuse, en train de passer la soupe de homard avec l’aide de Jean Millet, hurle : « Qui va faire la commune ? ».
Charles Barrier accepte : » Moi. Mais à condition qu’on me donne un commis.
– Prends Hubert, rétorque le gars Paul et Barrier acquiesçant : « Viens avec moi , petit, nous sommes les communards. Et tu vas voir on va les épater, nous deux! ».
Moi je ne demandais pas mieux. Mais la Commune, les communards… pas connaître. Je m’informai timidement. J’appris que faire la Commune c’est préparer la nourriture du personnel. Et que ceux qui la font sont les communards.
– Tiens, me dit Barrier, allons piquer quelques bars à Louis, au passage.
Outhier était dans les poissons jusqu’au cou. On lui barbote deux magnifiques bars et on le laisse se dépatouiller :
– Trouve des tomates et émonde-les, ajoute alors Charles.
Je perds une demi-heure à rassembler mes tomates, à dégoter une misérable gamelle pour faire bouillir l’eau, récupérer une écumoire et, à l’aide d’un couteau sournoisement fauché à Pierre Laporte, j’épluche mes tomates.
– Maintenant on va cuire les bars, explique Barrier. Et, au fur et à mesure qu’il travaille, il commente ses gestes et me fait saisir le pourquoi des choses. Je l’ignore encore mais c’est à cet instant que j’ai commencé mon apprentissage de cuisinier, l’apprentissage de mon nouveau métier!
– Hubert! trouve-moi du basilic nom de Dieu, mon ragoût de homard ne sera jamais prêt.
– Hubert, sors les poissons du four !
– Hubert, demande à Pierre d’aller voir si le couvert de la Commune est mis.
– Hubert, t’as été voir Michel ? Comment va-t-il ?
Je cours, j’épluche, je cherche du basilic (mais au fait qu’est-ce que c’est exactement le basilic ?) et n’en trouve pas, je cavale dans les coursives jusqu’à l’infirmerie où Guérard souffre et se désole, j’épluche à nouveau, je me brûle les mains au four, recule et me brûle les fesses à un autre, je recours, je transpire, je suis vanné, je suis heureux… Enfin on se retrouve tous à table (j’allais dire « à la communale » et cela se dit peut-être comme ça! ) et plus calmement on bavarde.
De quoi ? Devinez ? On parle bouffe !
Ce repas, je m’en souviens comme si c’était hier.
Peu de marmitons ont eu la chance qu’un Charles Barrier leur fasse la cuisine, ni de partager leur repas avec un Oliver et un Lasserre.
A un certain moment Pierre Laporte réclame du fromage. – On peut manger les fromages d’Hubert, dit Lasserre, puisque Raymond ne veut pas qu’on les serve!
Je fis la gueule. Mais Vergé et Pierre Troisgros prirent ma défense : puisque les fromages étaient inscrits au menu il fallait les servir.
De reste, je n’entendis point la suite de la discussion. J’étais déjà sorti pour glaner, parmi mes plateaux, quelques fromages pour mes copains.
On les dégusta. Et Raymond Oliver se leva et vint à moi, assurant avec son bel accent bordelais : « Mon cher Hubert, il y a bien longtemps que je n’ai mangé de si bons fromages. Je te félicite! ».
Toute l’assemblée applaudit et moi je nageais dans une crème de satisfaction..
D’autant que Charles Barrier ajoutait : Et en plus d’être un bon fromager, Hubert est le commis le plus doué que j’ai jamais eu! »
Cette fois-ci l’émotion me noua la gorge. Je fonçai à travers le bateau raconter ça à mon petit copain Guérard qui, malgré sa douleur manifestait l’intention, de se lever pour le dîner..
Je téléphonai au Pot-au-Feu pour avoir le nom du médicament qui l’avait soulagé dans d’autres crises semblables, fonçai en ville pour l’acheter.
( à suivre )